Le problème légal

L'incompatibilité entre législations dont profite la Défense

La Défense ne respecte pas la législation sur le bien-être au travail (code sur le bien-être au travail) alors qu'elle n'a aucune exception ni aucune dérogation légale pour cette législation. C'est certainement confirmé pour la surveillance de la santé en médecine du travail. L'article 4 de la loi sur le bien-être au travail de 1996 prévoit que le Roi peut fixer des exceptions pour la Défense, mais il n'y a eu à l'heure actuelle aucun arrêté royal à ce sujet et on voit mal le législateur confirmer dans un texte de loi d'exception que les militaires soient traités différemment des travailleurs civils en matière médicale, car il n'y aurait pour cela aucune raison valable.

La Défense privilégie la législation médico-militaire, un ensemble de lois et règlements antérieurs à la législation sur le bien-être au travail. Voici un relevé de différents textes de la législation médico-militaire :

legislation-medico-militaire.pdf legislation-medico-militaire.pdf

La logique même aurait voulu que La Défense adapte cette législation à la législation sur le bien-être au travail, mais elle a considéré d'emblée que sa législation médico-militaire était une exception à la législation sur le bien-être au travail, sans que ce soit confirmé par arrêté royal. Elle a agi de la sorte car adapter ses textes médico-militaires signifiait que son personnel aurait eu une plus grande protection, de l'embauche à un éventuel licenciement pour raisons médicales. Or c'était impossible à supporter pour les ressources humaines en cette période de restructuration et de réduction des effectifs.

Tous les médecins militaires peuvent intervenir pour juger de l'aptitude médicale, en infraction avec la loi sur le bien-être au travail de 1996, mais également en infraction avec la loi de 2003 sur les examens médicaux dans le cadre des relations de travail. Or cette dernière loi ne prévoit aucune exception. Ici c'est le rôle même du médecin militaire non médecin du travail qui était mis sur la sellette et les ressources humaines ne voulaient surtout pas que des médecins du travail, formés à l'adaptation des postes de travail en fonction de l'état de santé, interviennent dans les commissions médicales d'aptitude, dans les commissions de réforme et dans les décisions sur le profil médical, car cela aurait signifié que la Défense perdait ses possibilités de n'accepter que les candidats qu'elle souhaitait engager et de réformer les militaires ayant un problème médical dont elle voulait se séparer. De plus, COMOPSMED, patron des médecins militaires non médecins du travail, aurait perdu sa sphère d'influence auprès des ressources humaines et aurait perdu le contrôle des commissions médicales d'aptitude, des commissions de réforme et des décisions sur le profil médical, ce qui était insupportable pour le patron virtuel des vestiges du service médical.

Le secret médical est bafoué et la déontologie médicale est mise à mal dans les procédures d’aptitude médicale. Le profil médical est connu de toute la ligne hiérarchique.

La Défense n'a pas exécuté une loi qui aurait permis de recruter le personnel des corps techniques médicaux dans un statut attractif, à temps plein (loi de 2006). Ceci a précipité la crise actuelle de manque d'effectifs en médecins, alors que le ministre disposait de la loi pour régler le problème.

La Défense n’a pas non plus exécuté le concept de carrière mixte (loi du 28 février 2007) qui aurait notamment pu permettre de régler la mobilité et le reclassement des militaires diminués au niveau médical dans des fonctions civiles moins contraignantes. Seul est intervenu un changement de statut début 2014 qui permet un reclassement dans une fonction civile. Mais ce reclassement est soumis à l'avis d'une commission (probablement la commission de réforme, la CMAR, où ne siège qu'un médecin du travail) et ne sera accordé que s'il s'agit d'un accident du travail reconnu : une discrimination supplémentaire avec les travailleurs civils qui bénéficient d'un reclassement quelle que soit la cause de l'affection, et avec les militaires qui souffriraient d'une affection non due à un accident de travail.

La Défense s’autocontrôle et bénéficie de son propre service d’inspection du travail et de l’environnement sur base d’un décret français de 1791. Mais ce service n'a aucune existence légale, il n'est pas placé au bon niveau et peut difficilement imposer de faire respecter la législation qu'on lui demande de contrôler. D'où l'action de l'auteur du livre, qui faisait partie de ce service dans les 11 dernières années de sa carrière. Les inspecteurs ne disposent pas des moyens de l'inspection civile, ils ne peuvent dresser de procès-verbal, ils n'ont que leur pouvoir de persuasion pour faire respecter la législation à la Défense. L'auteur du livre a sacrifié sa carrière pour dénoncer les infractions à l'auditeur du travail. Il n'a été soutenu ni par son chef direct à l'inspection ni par le chef du département bien-être (ACOS WB). Or ces derniers, en vertu de l'article 29 du code d'instruction criminelle, auraient dû s'associer à sa démarche sachant que les infractions commises sont susceptibles d'être la cause de lésions physiques et de décès. Les possibilités d'action de l'inspection sont donc très maigres, puisqu'elles sont non seulement soumises au bon vouloir de la Défense, qui fait exactement ce qu'elle veut quand des infractions sont commises, mais aussi au bon vouloir de ses chefs, qui ont des priorités éloignées du bien-être collectif et ne dénoncent pas les infractions au bon niveau.  

Le conseil d’état n’a jamais été amené à émettre des remarques sur les textes légaux de la législation médico-militaire publiés plus récemment. La logique juridique qui est suivie au conseil d'état est celle de la législation médico-militaire plus ancienne, où le terme utilisé est celui de "médecin militaire" et non celui de "médecin du travail". Or ceci est incompatible avec la loi de janvier 2003 sur les relations médicales dans le cadre du travail, qui ne prévoit aucune exception et qui exige que ce soit un médecin du travail qui examine les candidats et le personnel. C'est également incompatible avec le code sur le bien-être au travail et la loi sur le bien-être au travail de 1996 pour lesquels la Défense n'a pas obtenu d'exception. La façon dont on traite ainsi les militaires est également incompatible avec la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discriminations. Le conseil d'état n’a pas non plus émis de critique sur les discriminations en matière d’accès au départ anticipé des militaires à partir de 2008 (Suspension Volontaire des Prestations) alors qu’il l’avait fait lors de la vague de départs anticipés dix ans plus tôt. Est-il encore possible pour le conseil d'état de s'y retrouver dans toutes ces législations contradictoires ? Pourquoi le bien-être de citoyens belges défendant les intérêts de leur pays ne constitue-t'il pas la priorité pour le conseil d'état ?