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Pensions de réparation: honte!

Les malversations autour des pensions de réparation

Nous avons déjà évoqué dans nos pages les difficultés que rencontrent les militaires pour faire reconnaître à leur juste valeur leurs maladies professionnelles ou les lésions qu'ils ont subies lors d'un accident de travail. Le système des pensions de réparation est sur la sellette.

A l’état et à l'armée, le système ne fonctionne pas comme dans le civil. Les militaires qui veulent faire valoir des lésions médicales dues à un accident de travail (Modèles 150) ou à une maladie professionnelle doivent s’adresser au SPF Pensions, suivant la procédure spécifique DGHR-SPS-SOCPENV. Dans le civil, c’est l’assurance accidents de travail de l’employeur qui intervient pour indemniser les lésions dues aux accidents de travail, et le Fonds des Maladies Professionnelles qui intervient pour indemniser les lésions dues aux maladies professionnelles.  L’état joue donc le rôle d’assureur via son SPF Pensionss pour indemniser les lésions dues aux accidents du travail ou aux maladies professionnelles de ses agents, militaires y compris.

Nous avons déjà dénoncé cela dans nos pages : la Défense et les cadres militaires ne se sentent pas concernés directement par la prévention pour réduire le nombre d’accidents de travail ou de maladies professionnelles, car ils ne sont pas directement responsables du financement des lésions médicales qu’ils imposent aux militaires du fait des accidents du travail ou des maladies professionnelles : tout cela est traité dans d’autres ministères. Dans le civil, un employeur est directement responsable financièrement car il paie une assurance accidents de travail dont la prime varie en fonction des risques d’accidents dans son entreprise, et il finance aussi le Fonds des Maladies Professionnelles.

A l’état,  vu les finances actuelles, tout est fait pour réduire au maximum le pourcentage d’invalidité accordée aux militaires, et probablement aux agents de l’état tous confondus, suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle.

Quelques militaires encore en activité ou pensionnés ont décidé de prendre le taureau par les cornes pour dénoncer dans un groupe soutenu par certains syndicats ce qu’on peut déjà qualifier de malversations autour des dossiers de pension de réparation. Il en résulte de multiples questions parlementaires posées aux ministres responsables, qui jusqu’à présent se renvoient la balle sans apporter beaucoup de solutions à long terme. Ils héritent d’une situation érigée de longue date en système défavorable pour les demandeurs, et devraient s’atteler à recréer un système honnête en prenant des mesures radicales sur base d’un plan d’action.

Quelles sont les constatations ? En voici une liste non exhaustive :

  • Suite à la demande du militaire, le commissaire rapporteur définit la mission demandée aux médecins de l’OML (Office Médico-Légal), mais il n’est pas médecin. Lorsqu’ils constatent que la mission qui leur est demandée est incomplète, il est impossible aux médecins experts de l’OML de traiter l’ensemble du dossier sans que la mission soit adaptée. Le militaire demandeur est dès lors parfois obligé d’introduire une nouvelle demande. Beaucoup de temps peut donc être perdu.
     
  • Le demandeur doit prouver un lien entre son affection et le service. Si la situation est assez claire pour les accidents de travail, sur base d’une déclaration d’accident écrite (Modèles 150), la situation se complique pour le militaire qui subit une maladie professionnelle des suites d’une exposition professionnelle à un risque au travail. En effet, très souvent ce risque n'a pas été documenté car l’analyse des risques est plus que défaillante à la Défense, certainement en ce qui concerne les risques subis en opération à l’étranger.  De plus, la Défense refuse de délivrer les informations sur les risques quand elle en dispose, et les risques subis en opération échappent totalement à la concertation avec les syndicats dans les comités de concertation.
     
  • Délais anormalement longs pour traiter les dossiers de pension de réparation et pour passer en commission. Il n’y a pas de délai respecté pour les expertises. Les documents envoyés par l’OML ne sont pas datés. Il est possible de faire passer son dossier au-dessus de la pile suivant la politique des petits amis. Si un dossier est compliqué, il peut aussi être mis en dessous de la pile.
     
  • Aucune aide des demandeurs n’est prévue à la Défense. Au contraire, des médecins militaires sont désignés dans les commissions pour défendre l’état, contre le demandeur.
     
  • Obligation pour le militaire demandeur de se faire assister par son syndicat, par un avocat et au moins par un médecin expert (médecin de recours personnel) dont les frais sont à sa charge, s’il veut que sa demande soit respectée. Le syndicat désigne parfois lui-même l’expert ou l’avocat, et prend leurs frais à sa charge. Mais peu de militaires sont syndiqués car la Défense décourage dès l’incorporation de s’inscrire à un syndicat. C’est « mal vu ». Par ailleurs, les frais d'examens médicaux complémentaires nécessaires à l'expertise sont à charge du demandeur.
     
  • Anomalies dans les convocations chez le médecin expert de l'OML : absence de mention du nom de l'expert; rendez-vous fixé sans prendre les convenances du médecin de recours personnel du demandeur; révision par le même médecin expert qui a accordé la pension initiale alors qu'il doit être différent.
     
  • Frais d’expertises exorbitants réclamés aux militaires qui se font assister par un médecin expert personnel. Suspicions d’arrangements financiers entre le médecin expert de l’OML et le médecin expert choisi par le demandeur pour se partager les frais d’expertise réclamés aux militaires, dans le but d’avoir un taux d’invalidité supérieur (nous parlons de milliers d’euros !).
     
  • Lorsqu’il y a désaccord entre le médecin expert de l’OML et le médecin expert du demandeur, un médecin sapiteur peut être désigné. Mais la liste des médecins sapiteurs est presque vide car les honoraires prévus par l’état pour payer le médecin sapiteur sont ridiculement bas. Les frais du médecin sapiteur sont donc réclamés au militaire demandeur, alors que légalement ils sont à charge de l’OML. 
     
  • Influence des médecins experts par le médecin vérificateur de l'OML (appelé erronément médecin directeur) et renvois multiples des dossiers vers les médecins experts jusqu’à obtention du pourcentage jugé correct par le médecin véricateur, toujours en défaveur du militaire. Modifications des protocoles d’expertise des médecins de l’OML ou influence des médecins de l’OML par le médecin directeur pour réduire les pourcentages d'invalidité, changer les dégressivités ou manipuler les facteurs concomitants et antérieurs qui réduisent d’autant le pourcentage réel d’invalidité. En attestent des ratures et annotations dans les protocoles dactylographiés de l’OML. De plus, les pourcentages accordés ne respectent pas toujours le BOBI (Barême Officiel Belge des Invalidités). Enfin, les facteurs étrangers, concomitants ou antérieurs, ne sont pas justifiés en toutes lettres sur les protocoles.
     
  • Autres anomalies constatées sur des protocoles de l'OML : absence de nom sous les signatures, absence de dates de signature, signatures falsifiées, délégations anormales de signature du Président de l’OML, signature du médecin vérificateur à la place d'autres médecins,...
     
  • Dossiers traités sur pièces, à l'insu et sans convocation du demandeur pour une expertise.
     
  • Les médecins experts de l’OML prennent leur décision après avoir examiné le demandeur, éventuellement en présence de son médecin de recours personnel. Ils prennent dès lors une décision concertée avec le médecin de recours personnel du demandeur, mais les commissions ne sont pas obligées de suivre et respecter les décisions prises par les médecins experts de l’OML dans le cadre de l’expertise amiable contradictoire qui a été effectuée.
     
  • Les membres des commissions et leurs présidents ont rarement lu les dossiers avant de les traiter en commission. Ils se réfèrent à l’avis et aux recommandations du commissaire rapporteur (qui n’est pas médecin) ou du bureau technique (où il n’y a pas de médecin). Le médecin vérificateur est par ailleurs en contact étroit avec le commissaire rapporteur et le bureau technique, qui orientent les membres des commissions en défaveur des demandeurs. Face à ces manipulations, le militaire demandeur qui viendrait seul en commission est complètement démuni s’il n’est pas assisté par un avocat, son syndicat ou son médecin de recours personnel, à ses propres frais.
     
  • Difficulté d’accès au dossier médical qui n’est pas directement transmis au médecin traitant du demandeur, ni au médecin expert de l'OML chargé des aggravations et des révisions. Parties de dossier manquantes.
     
  • Découragement des militaires devant toutes ces embûches et devant les frais exorbitants, ce qui les amènent à accepter la situation et à renoncer.
     
  • Absence d'un système de plaintes efficace. Les plaintes ne sont pas traitées.

Il est clair qu’il faut développer un plan d’action pour remédier à toutes ces dérives, et que ce plan d’action doit toucher aussi bien la Défense que les SPF Finances, Santé, et Pensions, sans oublier les militaires eux-mêmes et leurs syndicats.

Voici les mesures qui doivent être prises :

  • Respect de la législation sur le bien-être au travail dans toutes les activités militaires, en Belgique comme à l’étranger, avec analyses de risques légales et concertées, et base de données des risques.
     
  • Etudes scientifiques sur les risques de cancer ou de maladies chroniques subis à cause des activités et des opérations militaires, en incluant les militaires pensionnés ou ayant quitté l’armée et qui ont subi ces risques, de façon à faciliter les octrois de pension en cas de cancer professionnel.
     
  • Contacts réguliers entre la Défense et les ministères intervenant dans l’octroi des pensions de réparation, pour obtenir les statistiques des demandes de pension de réparation, leurs causes et établir des priorités de prévention au sein de la Défense.
     
  • Audit de toute la procédure des pensions de réparation et de tous les intervenants, par un auditeur complètement indépendant.
     
  • Inverser la charge de la preuve, et reconnaître la présomption de lien entre une maladie et le service lorsque l'analyse de risque est déficiente (opérations à l'étranger). 
     
  • Respect des procédures légales par l’OML et les commissions de pension.
     
  • Respect des délais de traitement des demandes, au besoin en augmentant le nombre d’experts et de personnel à l’OML.
     
  • Donner la possibilité aux médecins experts de l’OML d’adapter eux-mêmes la mission si la mission fixée par le commissaire rapporteur est incomplète.
     
  • Révision de la politique de désignation des membres des commissions et de l’OML.
     
  • Respect de l’expertise amiable contradictoire et des décisions des médecins experts de l’OML par les commissions.
     
  • Révision des barèmes des experts et des médecins sapiteurs pour éviter les dessous de table, et respect strict de ces barèmes.
     
  • Transmission systématique du dossier médical et des décisions au médecin désigné par le demandeur.
     
  • Favoriser dès l’incorporation l’inscription à un syndicat.
     
  • Prévoir une forme d’aide aux militaires qui introduisent une demande de pension de réparation : soit en interne à la Défense, par exemple en donnant pour mission aux médecins militaires d’accompagner les demandeurs dans les procédures médicales, ou sous la forme d’une assurance protection juridique pour l’ensemble du personnel de la Défense, soit en externe en octroyant une aide financière via l’IV-INIG ou l’OCASC.

 

De façon à crever l'abcès, l'auteur a de nouveau pris la plume dans la presse en 2023 pour dénoncer les dysfonctionnements, après que des militaires pensionnés se soient constitués en groupe partie civile contre des membres du MEDEX accusés de malversations et de manipulations des dossiers médicaux. Article à lire ici :

https://www.lejournaldumedecin.com/actualite/grande-muette-le-systeme-des-pensions-de-reparation-plus-que-jamais-sur-la-sellette/article-opinion-69761.html

 

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