Etes-vous un oublié ?

Qui sont les oubliés de la grande muette ?

Le but n'est certainement pas de faire avec les carottiers des oubliés de la grande muette, ni de faire en sorte que les exigences physiques et mentales du métier de militaire soient réduites. Par contre, il faut reconnaître que l'on considère parfois très vite qu'un collègue qui a un problème psychologique est un carottier, alors qu'il s'agit bien, au niveau médical, de perturbations neurologiques mesurables et qu'il faudrait plutôt se demander avec lui quels sont les facteurs, notamment au niveau professionnel, qui ont amené cette situation. De même, nous savons tous que le métier de militaire est exigeant non seulement pour le militaire mais pour sa famille : il faut donc que tout soit mis en place pour faire en sorte qu'il reste apte et compétent le plus longtemps possible, en réduisant les risques d'accidents, de maladies professionnelles ou de suicide et en veillant à ce que le suivi médical soit efficace et régulier : sur tous ces derniers points, la Défense a un énorme retard, elle continue à déconstruire, et ça l'arrange très bien en cette période de réduction des effectifs et de restriction budgétaire.

De façon générale, tout le personnel militaire ou civil de la Défense, et tout candidat à une fonction militaire est un oublié de la grande muette. Il sera tôt ou tard confronté à un problème médical qui peut mal tourner. Il a plutôt tendance à compter sur la chance, dans un milieu exigeant, jusqu'au jour où un incident de type médical modifie son plan de carrière ou pire, où survient son décès par suicide, accident en service, accident de la route, ou maladie professionnelle. A ce moment-là, les membres de sa famille et ses proches sont également confrontés à la tourmente, et ils deviennent aussi indirectement des oubliés de la grande muette. Le personnel victime se retrouve seul devant l'administration, et regrette de ne pas s'être syndiqué : certains lui avaient dit que se syndiquer nuisait à la carrière. Or les syndicats sont les seuls à pouvoir vous aider en cas de démarches médico-administratives, et ils peuvent même prendre en charge certains frais de défense en justice lorsqu'il faut y recourir. Le seul moyen de se protéger individuellement, et de lutter de façon collective contre le phénomène des oubliés de la grande muette, c'est de se syndiquer, dès l'incorporation.

Vous êtes un oublié de la grande muette car vous n'avez pas droit à bénéficier d'un système de prévention et protection au travail légal et efficace. La Défense a pris beaucoup de retard pour mettre en place son système, avec un personnel qualifié insuffisant, si bien que les analyses de risque des postes de travail ne sont pas encore toutes complétées et restent incomplètes. Il en va de même pour l'analyse des risques psycho-sociaux, qui n'en est qu'à ses premiers balbutiements. A la Défense, on peut retrouver tous les risques professionnels vu la diversité des activités et la polyvalence qui est exigée du personnel.  Le but des analyses de risque est de mettre en place des moyens de prévention pour éviter que des accidents ou des maladies n'affectent le personnel, et de faire réaliser par le médecin du travail une surveillance de la santé ciblée sur les risques, pour dépister à temps les maladies professionnelles et juger de l'aptitude médicale à exercer une fonction dans le but de proposer à l'employeur des adaptations éventuelles du poste de travail. Vous êtes un oublié de la grande muette car la Défense ne met pas tout en oeuvre pour réduire les risques; elle refuse même de reconnaître certains risques, comme le fait de vous entraîner avec les armes qui vous place en poste de sécurité et nécessiterait un examen annuel par un médecin du travail.  A l'heure où la Défense impose les tests sportifs comme mesure statutaire, le risque sportif n'est pas plus reconnu comme risque nécessitant un examen chez le médecin du travail avec des examens approfondis à partir d'un certain âge. Vous êtes un oublié de la grande muette si, à cause de ce système de prévention défaillant, vous souffrez d'une maladie ou d'un handicap résultant d'une exposition professionnelle ou d'un accident de travail, en espérant que vous n'en êtes pas décédé, que vous n'avez pas fait une mort subite en faisant du sport ou que vous ne vous êtes pas suicidé.

Vous êtes un oublié de la grande muette car vous n'avez pas droit dans tous les cas à l'examen d'un médecin du travail (quatre années de spécialisation), qui est le seul à pouvoir intervenir au niveau médical dans la relation entre l'employeur et le travailleur. Les candidats militaires ne sont jamais examinés par des médecins du travail pendant la phase de recrutement. Par ailleurs, l'examen médical du candidat a lieu au début de la phase de recrutement, alors qu'il devrait avoir lieu à la fin, pour éviter toute discrimination et sélection sur base médicale.  Enfin, certains critères médicaux d'exclusion des candidats sont inappropriés car le candidat en bonne santé au moment de l'examen peut être refoulé sur base d'une présomption de faiblesse physique quelques années plus tard, alors que c'est interdit par la loi : imaginez ce que ce sera quand les tests génétiques seront réalisés couramment ! Dès lors, vous êtes un oublié de la grande muette si comme candidat, vous n'avez pas été admis à la Défense alors que vous êtes en bonne santé mais que la Défense considère que vos antécédents médicaux ou une particularité physique présentent pour elle un risque de moins bonne santé quelques années plus tard. Pendant la carrière, les militaires sont aussi des oubliés de la grande muette car ils sont régulièrement confrontés à des médecins non médecins du travail choisis par la Défense dans les différentes commissions d'aptitude, dans les commissions de réforme, dans les procédures de changement de profil médical et dans certains examens d'aptitude opérationnelle.

Vous êtes un oublié de la grande muette car vous n'avez pas droit au plein respect du secret médical, et votre profil médical est connu de toute la ligne hiérarchique.

Vous êtes un oublié de la grande muette car en cas de problème médical, vous n'avez pas toujours droit à la réintégration dans une autre fonction, et vous êtes réformé et devez quitter la Défense. Or la multitude de situations de travail à la Défense permet de réintégrer pratiquement tous les militaires ayant subi des lésions médicales, même s'ils sont en chaise roulante. Jusque fin 2016, on parlait de reclassement. La Défense n'est nullement motivée à réduire les accidents et les risques professionnels puisqu'elle peut vous mettre dehors dès que vous êtes accidenté ou malade, et que les frais inhérents à votre départ (pension médicale, pension de réparation) échappent à son budget.
Une avancée a été faite avec la loi-programme DI RUPO 2013 et les changements statutaires en début 2014, mais le reclassement dans une fonction civile est soumis à l'avis d'une commission (probablement la commission de réforme, la CMAR, où ne siège qu'un médecin du travail) et ne sera accordé que s'il s'agit d'un accident du travail reconnu : une discrimination supplémentaire avec les travailleurs civils qui bénéficient d'une réintégration quelle que soit la cause de l'affection, et ne sont examinés que par un médecin du travail, et non une commission où siègent d'autres médecins défendant l'état ! Et cette situation risque de s'aggraver avec le nouveau statut temporaire.
Une autre avancée dans la législation sur le bien-être au travail a supprimé la notion de reclassement, pour créer officiellement la notion de réintégration. Il s'agit de l'arrêté royal du 28 octobre 2016 sur la réintégration des travailleurs en incapacité de travail. Désormais, plus personne, à moins de le vouloir parce que la situation médicale est désespérée, ne devrait être réformé par la CMAR et pratiquement tous devraient être réintégrés dans une fonction compatible avec son état de santé, car ces fonctions existent à la Défense ou dans d'autres département de l'état.  Reste à voir comment la Défense va appliquer cette dernière législation. Il y a de fortes chances pour qu'elle l'adapte à sa propre sauce, au détriment du personnel malade ou accidenté.

Vous êtes un oublié de la grande muette, car si vous avez subi un problème médical, vous devez vous défendre tout seul, sauf si vous êtes syndiqué. Vous vous retrouvez devant des commissions médicales où siègent des médecins non médecins du travail qui défendent l'état mais ne veillent en rien à vous défendre vous. Si vous êtes réformé par la CMAR, vous touchez une pension en fonction du nombre d'années de service, et c'est souvent insuffisant.
Vous pourrez compléter cette pension par une pension de réparation si votre affection a pour origine un accident du travail ou une exposition professionnelle, mais c'est très difficile, surtout si vous êtes seul et non syndiqué, d'obtenir gain de cause. Voir notre page :

Pensions de réparation: honte!
Si la pension médicale (hors pension de réparation) n'atteint pas le minimum légal, un complément peut être versé par le SdPSP (Service des Pensions du Service Public).
Juqu'à la loi programme de juillet 2013, vous pouviez cumuler cette pension avec des revenus professionnels selon les mêmes plafonds que pour les pensionnés à la limite d'âge. Si vous étiez fort handicapé et incapable de travailler, vous pouviez aussi cumuler la pension médicale avec une pension d'invalidé au SPF Santé Publique (Vierge noire, INAMI, AWIPH,...).

Avec la loi programme DI RUPO 2013 entrée en vigueur en 2014, il y a eu interdiction de cumul d'un quelconque revenu avec la pension de survie médicale, sous peine de suppression de la pension.
Heureusement, un premier arrêt de la Cour Constitutionnelle en novembre 2014 a annulé partiellement l'article 81 de la loi programme DI RUPO 2013, et a aligné les montants de cumul d’un revenu professionnel comme salarié et indépendant et d'une pension de survie pour inaptitude physique, sur les montants de cumul d’un revenu professionnel avec une pension par limite d’âge. Cela signifie que les militaires pensionnés pour inaptitude physique peuvent à nouveau travailler et cumuler leur pension de survie, calculée sur le nombre d'années de service et donc réduite, dans les mêmes conditions de cumul que les militaires pensionnés par limite d'âge, avec les mêmes plafonds.
Mais tous les militaires pensionnés pour inaptitude physique ne savaient pas exercer une activité professionnelle, si leur handicap était important, et l'article 91 de la loi programme DI RUPO 2013 leur interdisait tout cumul avec une autre pension d'invalidité à l'INAMI. Cerise sur le gâteau, plusieurs pensionnés dans cette situation ont été invités à rembourser soit la pension de survie médicale, soit l'indemnité complémentaire perçue à l’INAMI qu'ils touchaient avant 2014.

Ces militaires ayant quitté le service pour raisons médicales ont donc été au moins cinq fois punis par le gouvernement DI RUPO et DE CREM :
1. Ils ont été licenciés abusivement pour raisons médicales alors qu’ils auraient dû pratiquement tous être réintégrés comme le prévoit la législation sur le bien-être au travail.
2. Ils ont toutes les peines du monde à obtenir une pension de réparation correcte pour les lésions qu'ils ont subies à cause du service (accidents du travail, maladies professionnelles).
3. Le gouvernement DI RUPO et DE CREM a supprimé depuis le 01 janvier 2014 leur droit de cumul de leur pension de survie pour inaptitude physique avec un revenu de remplacement (mutuelle, INAMI, ONEM) en fonction de leur handicap.
4. Pire, l'état a exigé qu'ils remboursent les indemnités perçues à l'ONEM, l'INAMI ou la mutuelle depuis le 01 janvier 2014, sous peine d'annulation de la pension de survie médicale.
5. Enfin, l'état les a obligé à envisager de travailler ailleurs pour compléter leur pension de survie pour inaptitude physique qui est en général insuffisante pour subvenir à leurs besoins et leurs traitements médicaux, alors que les employeurs civils engagent difficilement des personnes qui ont des limitations physiques.
Ce problème a fait partie de nos actions après les élections et vous pouvez en retrouver la teneur sur la page :
Actions après les élections (paragraphe 1 "Actions contre le scandale de la loi programme DI RUPO 2013")
Grâce à notre action et à la levée de boucliers, le ministre des pensions Bacquelaine du gouvernement Michel a communiqué en février 2015 qu'il mettait fin à cette injustice, et il semble que cela est effectivement le cas depuis lors mais entretemps, plusieurs militaires dans cette situation se sont retrouvés dans une situation financière catastrophique.

Vous êtes un oublié de la grande muette car on vous a privé d'un tas de facilités médicales dans les casernes ou les hôpitaux militaires, et vous devez désormais vous faire soigner en dehors des heures de service, avec une charge administrative conséquente pour se faire rembourser du ticket modérateur (ce que la mutuelle ne rembourse pas et qui est pris en charge par la Défense). Les soins d'urgence dans votre caserne sont déficients. A la caserne, sauf dans quelques grandes casernes et les écoles, vous n'avez même plus d'accès à un médecin militaire, dont le nombre a été tellement réduit que les opérations sont parfois compromises. Lorsque votre maladie a une répercussion sur le service, vous avez toutes les peines du monde à avoir accès au médecin du travail. En Wallonie (hors Brabant), il n'y a plus que trois médecins du travail. Et l'hôpital militaire, qui est loin de votre caserne, n'offre pratiquement plus de possibilités de se faire soigner car elle a perdu la plupart de ses spécialités.

Vous êtes un oublié de la grande muette car la Défense ne veut pas reconnaître systématiquement l'origine professionnelle de certaines maladies graves. Vous devez vous défendre seul dans les commissions de pension de réparation, où siègent des médecins militaires (non médecins du travail) qui défendent l'Etat. C'est le cas pour les leucémies et les lymphômes des radaristes HAWK et NIKE en Allemagne, alors qu'une étude scientifique reconnue internationalement et menée chez les radaristes belges a démontré un risque huit fois plus élevé de développer ces maladies pour les radaristes. Voici cette étude :

etude-radar.pdf etude-radar.pdf

C'est la cas aussi pour certains cancers de la thyroïde parmi ceux qui ont participé aux missions en Bosnie ou au Kosovo. On peut incriminer le cesium issu de Tchernobyl, peut-être l'uranium appauvri pour les premiers qui sont partis en mission, également les dépôts toxiques qui se sont accumulés dans ces régions, mais la Défense ne réalise pas d'analyse de risque préalable du terrain des engagements et il est difficile a posteriori de déterminer les causes exactes de certaines maladies. Vous êtes un oublié de la grande muette car en opération en dehors du territoire national, la Défense considère que la législation sur le bien-être au travail n'est pas d'application. Aucun système garantissant la même protection n'est développé et tout ce qui s'y passe échappe complètement à la concertation dans les comités de concertation. Voici deux textes explicatifs sur les risques que l'on pourrait invoquer pour les cancers thyroïdiens en Bosnie et au Kosovo :

Bosnie kosovoBosnie kosovo

etude-sol-kosovo.pdf etude-sol-kosovo.pdf

Vous êtes un oublié de la grande muette si vous avez connu la spirale infernale d'un harcèlement, d'un burn-out ou d'une dépression après un événement traumatisant ou une opération. Le sommet de cet iceberg est le taux de suicide chez les militaires. Alors qu'avant les années 2000, les militaires avaient toujours été relativement protégés par rapport à la population générale, on constate des pics de suicides depuis les années 2000 : les militaires se suicident désormais plus que la population générale masculine belge qui est la plus à risque, car les femmes se suicident moins que les hommes.

Evolution suicides 03 2017Evolution suicides 03 2017

Nous avons été les premiers à tirer la sonnete d'alarme :

http://www.lalibre.be/actu/belgique/21-militaires-se-sont-suicides-en-2015-et-2016-58b5bbc2cd70fcd9ef92bc79

Le mode de fonctionnement hiérarchisé de la Défense est propice au harcèlement et les moyens mis en place ne permettent pas encore de trouver une solution rapidement en cas de problème psycho-social. De plus, les militaires et les collègues en bonne santé comprennent difficilement votre "faiblesse" et vous êtes vite catalogué. Vous n'osez pas vous adresser au conseiller en prévention chargé des aspects psycho-sociaux qui est le seul à pouvoir mener une enquête officielle dans votre unité et à vous protéger contre le licenciement ou toute mutation que vous ne souhaiteriez pas. De plus ce psychologue se trouve à Bruxelles. Certes vous en avez parfois parlé avec vos collègues ou votre chef, vous avez peut-être consulté le médiateur ou la personne de confiance proche de votre unité mais vous êtes souvent obligé de faire mutation et une mauvaise réputation vous suit tout le reste de votre carrière. Si vous souffrez d'un burn-out ou d'une dépression, vous vous sentez délaissé et la reprise de travail est d'autant plus difficile : le centre de psychologie de crise se trouve à Bruxelles mais vous habitez loin. Vous vous faites soigner près de chez vous dans le civil mais les causes professionnelles ne sont pas implémentées et d'ailleurs, la Défense s'y intéresse peu. Du fait des soins dans le civil, la Défense a perdu toute possibilité de dépister rapidement des affections dont l'origine pourrait être professionnelle.

Vous êtes un oublié de la grande muette car l'état vous fera vivre ces discriminations et ces situations précaires au niveau médical et social pendant de plus longues années encore, avec l'allongement de carrière qui est annoncé. Voir :

Vous êtes tous des oubliés !

Vous êtes un oublié de la grande muette car les restructurations successives des dernières années et celle qui va suivre après les élections 2014 vont encore amener certains d'entre vous à devoir effectuer de plus grands déplacements, avec tous les risques que cela comporte, à devoir s'habituer à un nouvel environnement de travail, ou à devoir déménager toute leur famille avec toutes les conséquences intrafamiliales que cela comporte.